François
Du Nord au Sud
Ce fut pour elle quil partit ; elle qui était grande, qui était blonde et sentait bon le sable chaud. Ils sétaient rencontrés, oui, au bord du chemin, non, pas sur lautoroute des vacances mais au carrefour hitchcockien dun poste dessence. Démon de Jésus à sa façon, François allait,, en cette aube androgyne rythmée du cri des mélancoliques cigognes encore en état divresse, chercher un litre de mélange pour la tondeuse Huskvarna type 2 de son voisin. Elle, sauvageonne noctambule, venue pour les vacances danser sur les pistes extasiennes du pays Chti, recherchait, depuis quelques kilomètres déjà, de quoi se sustenter, après une nuit houblonneuse et chanvresque au ptit Quinquin de la Grand Place : quon appelle entre initiés le « Titi Baugé ». Les gars de Saint Amand ont lil perçant et, sitôt quil aperçut poindre la silhouette karembeusienne de la belle jeune femme, là, François eut la vision de son destin Malheureusement, les gars du Nord ont la jambe courte, alors il ne put rattraper la gracieuse amazone qui repartait déjà en sens inverse, après avoir acheté en vrac 80 grammes de M&Ms, 2 poches de Dragibus et 3 bouteilles Contrex bouchon sport. De colère et de rage envers une anatomie inappropriée à la circonstance, il laissa venir à ses yeux fragiles de brûlantes larmes, pleines de son désir daimer. Plût au ciel, les gars du Nord ont de lobstination, aussi, après avoir maugréé quelques jurons en langue dOïl, François prit une grande décision. Derrière lui patientait le théâtre en brique de son enfance : st.Amand ! ses hautes cheminées, ses passants empourprés et ses livreurs de Duvel, ses histoires au coin du feu, ses parties de châtaignes grillées, ses joyeuses friteries et ses concours de belote devant, se levaient la route vers le sud, le chemin goudronné dun avenir incertain ; au loin avançait, minuscule et tourné, le gracieux visage qui lui était apparu. Là-bas, le train venait de sarrêter. Dans le flou horizon dun wagon maudit, senfuyaient les faveurs inconnues de cette fille aux cheveux couleurs de blé. Que faire ? Alors il jeta, par-dessus ses épaules, un adieu franc et douloureux à sa terre de toujours, renifla rapidos et lança sans se retourner un au revoir définitif à ce monde froid et magnifique : cétait les corons ! Etant donné, que les gars du Nord ont toujours une pince monseigneur sur eux, aussitôt François fit sauter le faible cadenas du Ciao débridé du brave pompiste. Comme celui-ci sortait au démarrage pour rattraper le voleur, François poliment balança un billet de 10 Euro et lui cria distinctement « Tchao Pantin ! » le voilà parti en route, en ses horizons Chimay-riques. Les premières centaines de kilomètres furent difficiles, sèches et ponctuées de rafales, même à 35 Km. Odin était contre lui, et François savait les dieux en colère ; il pensait à Ulysse, à Hannibal, à Moïse, aussi aux fiers guerriers vikings et à tous ces hommes de lHistoire, endurcis par lespoir opiniâtre de trouver leur terre promise. Il vaincrait, il le savait. Il vaincrait les contrariétés du temps, les conjonctures géopolitiques défavorables, bafouerait les règles de la mécanique des 2 roues, écraserait les pièges astrologiques de la saison qui, plaçant Mars en carré de Vénus, apportait encore un écueil à son voyage ; il emmerdait les fluctuations du CAC 40, chiait allègrement sur les blocages autoroutiers à cause du Paris Roubaix, comme il piétinait les obligations familiales voulant que, lorsquon quitte le foyer sans prévenir, on doit au moins laisser un mot sur la table du salon ou un post-it sur le frigo en disant : « Ne vous inquiétez pas, je suis tombé amoureux, je ne reviendrai pas mais tout ira bien ». Sans détour, il suivit la diagonale quil sétait tracé en tête, dormit peu (en tout cas beaucoup moins quau temps de son adolescence où il déchiffrait gaiement les partitions écartées de Def Lepard et de Lofofora), il but aussi de mauvaises Heineken et mangea de jour comme de nuit ces infâmes et trop fameux sandwichs triangulaires au goût de coton et de Maïzena périmée. Il se ruina en essence, car le prix du baril avait encore flambé, parcourut les hauteurs sauvages du Massif Central, rongea les terres embourbées de la basse Charente, dévala les pentes calcaires de la Dordogne, vainquit les labyrinthiques vignobles de Gironde et parvint enfin sur le sol ensoleillé, où sa promise avait, une semaine avant, posé sa frêle cheville : puisquen TGV on va tout de même vachement plus vite quen mobylette ! Sur place, il se rendit aussitôt chez Carglass, car il avait fêlé son rétro en prenant un dos dâne à toute blinde. Comme il nétait pas non plus question de retrouver sa belle dans cette tenue, il courut se changer chez un tailleur de renommée ; à son torse divoire ajusta quelque chemise en lin et mit aux pieds délégants escarpins à boucle de cuivre. Dans ce genre dhistoire, il faut toujours une partition incongrue, une part de fantastique et dimpossible. Ainsi, et croyez-moi si vous le voulez, lorsque notre beau jeune homme sortit de la boutique, tout prêt, tout fringué, locciput parfumé et la mèche rousse dansant au vents salés des embruns girondins, il se trouva face à son rêve. Oui, elle était là, pas à gauche, pas à droite, mais pas non plus maladroite, une gerbe davoine fraîchement coupée au creux de ses menottes ; elle lavait attendue devant la boutique. Milva, à ses lèvres angéliques, tendait un sourire dune blancheur digne de ses lignes de linge immaculées qui pendent aux fenêtres napolitaines à la saison des fleurs ; elle avait arrangé à ses cheveux un bouton dor et pleurait un peu, elle aussi, comme François qui nen croyait pas ses yeux ; elle pleurait parce quelle était émue. Après lui avoir promis quil la couvrirait de perles de pluie, il finit par lembrasser dignement, sa main derrière sa douce nuque, et lui glissant à loreille que finalement : « le bonheur est dans le pré » .