L'envers du cartable

Publié le par dantris vadim

Ils sont là, tous et on ne peut plus nombreux. Il ne reste aucune chaise sinon celle du bureau, la mienne en l'occurence, que je garde et il vaut mieux : on en a pour une heure ensemble. Tous différents, et pourtant si semblables, disons des enfants malgré tout ; 12, 14, 16 ans au maximum...le début d'une humanité prometteuse... La tête baissée, alternant avec les lignes d'un roman, je les regarde travailler...bien sûr, un sur deux fait semblant, dessine, somnole ou déchiffre les hiéroglyphes tracés au compas dans le bois composite de la table de perm'. D'autres rêvent, patientent, oublient simplement ou essaient du moins...on le sait vite qu'il y aura tout de même et toujours entre eux des différences...fondamentales. En politique on dirait "inégalité sociale", on parlerait de "fracture", de "relativité des chances"..c'est vrai qu'ils n'ont pas tous eu le même départ. Au collège, dans un langage bien pensant et pesé pour nuire le moins possible aux oreilles éventuellement attentives, on dit plutôt "défavorisé", il n'empêche que le problème est le même quoique les tournures stylistiques; quant aux solutions il n'y en a finalement peu...enfin, on surveille, on "assiste en éducation", et au bout du compte on se surprend parfois à ne faire que gagner un peu d'argent pour soi, bien au-delà d'eux... C'est vrai ! ils auraient besoin d'aide et nous on vient travailler...ça m'ennuie souvent cette histoire d'honnête impuissance, alors si tant est que sous mon crâne le temps soit au beau fixe, je prends quand j'y arrive le temps d'un gâteau magique apparaissant sur le plateau d'un enfant boudeur, l'instant furtif d'un petit mot à l'oreille mal réveillée et déjà nerveuse d'un indiscipliné notoire, le quart d'heure d'un duel de pongistes avec un prêt-à-bondir, ou le risque d'un peu d'humour sous les yeux d'une perpétuelle déçue : on fait ce qu'on peut, on joue, on simule de l'espoir, de la lumière pour leur mauvais couloir... On est pas formé pour être capitaine mais on se jette un peu à l'eau, quand le bateau de certains, ivre de colère ou de fatigue, menace de sombrer. Difficile de mettre un peu d'or dans leurs poches crevées..enfin, c'est rageant...croire que tout devrait marcher, main dans la main..... ce résigner ça n'est pas la question, mais il faudrait y faire un peu plus... - Tu es arrivée la semaine dernière à l'heure de la sonnerie, les joues marquées de six griffures faites avec ton compas, face à moi...en me disant que, là, "ben, ça va pas très fort !" Pendant dix malheureuses minutes, parce que le cours devait malgré tout commencer, parce qu'arriver trop en retard ne t'aurait pas plus servi...pour ces dix minutes, j'ai essayé de te répondre ou plutôt de t'écouter. Et puis, il a fallu que tu ailles en classe, il a fallu que je passe à autre chose..il a fallu... Dès le début je savais que le temps nous manquerait. Et tu en étais bien sûr aussi consciente. Ai-je fait ce qu'il fallait ? qu'attendais-tu vraiment dans tes confessions? Tôt ou tard je te manquerai, et peut-être m'en voudras tu comme je m'en veux déjà. On appelle ça un boulot-alimentaire..mon c...y'a pas mieux pour que l'envie de manger vous passe. C'est pas en posant l'oreille sur les brûlures de ces gamins qu'on se remplit la panse ou qu'on garnit un frigo. On devrait nommer ça un boulot-amaigrissant. Et alors !...pourquoi pas....

Publié dans Chronique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article