L'existence fabulée de Colin Masure CH.III

Publié le par Dantris

Chapitre III : La valise


     En échappant un craquement métallique étouffé, l'horloge murale rappela à Colin qu'il était l'heure de partir. Il termina un verre de lait menthe puis se précipita à l'étage pour boucler sa valise. Une énergie nouvelle emportait Colin, il lui sembla que gravir les vingt-six marches de l'escalier ne lui coûtait aucun effort. Sur le lit, Colin retrouva sa valise ouverte en train de dégueuler un excès de linge bariolé. Il ne prit pas le temps de redonner une forme convenable à son tas de fringues mais bourra le tout, rageusement, écrasant de son poids sa grosse Samsonite comme s'il s'en prenait à un lutteur au bord du KO.

Colin ne partait logiquement qu'un week end mais il avait toujours cette manie de l'amplitude : il prenait chaque fois plus d'affaires qu'il n'en fallait. Maud le lui avait souvent reproché. Chaque été, il chargeait le coffre du break comme s'il s'était agi d'une famille marocaine sur le point de retrouver le bled pour un mois. Maud et lui n'avaient qu'un enfant et ne quittaient la maison que pour quinze jours de vacances.

Colin éprouvait inconsciemment la peur du vide. L'horreur pour lui était de se retrouver à cours de chemises, à cours d'idées, à cours d'amour. En ce moment il n'avait que des chemises.

Quand il ferma sa porte, Colin réalisa qu'il ne lui restait que vingt minutes pour arriver à la gare. C'était le seul train de l'après-midi, il ne pouvait pas se permettre de le rater. Le taxi arriva à temps, Colin s'y engouffra et déjà l'anxiété trempait sa chemise. Il se mit à la recherche de la petite énergie qui l'avait soulevé tout à l'heure mais ne la trouva pas. Bernard Lavilliers se mit à rimer en quadriphonie dans la voiture. A en croire l'anneau d'or à son oreille, le chauffeur aimait le chanteur et l'homme. Heureusement pour Colin, ce dernier aimait aussi la vitesse. Après huit kilomètres de rocade sur la file de gauche, le taxi sortit brutalement pour prendre la direction du centre ville. La voiture s'arrêta dans un crissement distingué. Colin approuva pour lui-même la conduite effectuée puis  tendit un billet de 50 euros pour régler la course. Il se rua ensuite sur le parvis de la gare. Il constata rapidement qu'il n'était pas seul, bien au contraire. Pour se donner du courage, Colin remonta sa valise d'un geste de l'épaule puis se faufila dans la foule agglutinée : une manif syndicale. Etant donné sa détermination Colin causa pas mal de dégâts. Dans un ballet vaguement centrifuge la Samsonite dégageait toutes les présences contestataires. Colin céda à l'excitation, il s'affolait à l'idée persistante que son train pouvait encore lui échapper. Il ne contrôlait plus son bagage qui allait parmi les gens comme une boule de bowling dans un jeu de quilles. Colin anéantit une bonne partie de la force syndiquée, ce qui lui valut des huées et un bon paquet de "Eh ! connard". Au moment de franchir enfin les portes vitrées, l'énorme valise, insatiable, heurta la cuisse d'une jeune femme qui s'apprêtait à entrer.

Colin ne s'aperçut de rien, il poursuivit et n'entendit pas les insultes que sa dernière victime lui adressait. Le train entrait juste en gare, il pouvait enfin souffler.

Profitant de ce moment d'immobilité, Colin réajusta son col de chemise et coiffa la mèche qui lui cachait le visage. A la façon d'un périscope, il scruta de part et d'autre le paysage humain dans lequel il était inscrit. L'ensemble avait quelque chose d'uniforme. Les gens se ressemblaient. Son mètre quatre-vingt-treize permettait à Colin de sortir la tête de l'eau. Il dominait seul la marée d'androïdes qui le ceignaient. Une image de Keanu Reeves entouré de milliers de Smith traversa l'esprit de Colin. Il la saisit au vol pour s'essayer au rôle.

Le train finit de siffler sa fatigue puis ouvrit ses portes pour libérer les voyageurs arrivés à destination. Le nombre de Smith tripla, Néo se sentit submergé. De marée on passa à océan, un véritable déluge opérait. Dieu allait-il décider de quelque chose à présent ? que n'aidait-il plutôt son élu ! Colin quitta la fiction et serra la poignée de sa valise, il soupesa son bagage : la gravité, bien réelle, le rassura. Ses flancs s'allégèrent peu à peu, les uns et les autres montaient à la suite dans le wagon. En attendant son tour, Colin forçait son coeur à retrouver le calme. Il se hissa dans le train en s'étonnant encore de sa métamorphose. 

 

 


 

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