Haruki Murakami, Kafka sur le rivage, 2003, traduction de Corinne Atlan, 2006, Seuil.

Publié le par Dantris



Kafka Tamura, jeune tokyote de 15 ans décide de fuguer pour partir dans le Shikoku. Il doit s'enfuir loin de chez lui, loin du lycée, de son père et de son présent qui l'oppressent. Ce garçon lumineux, qui entretient autant son corps que son esprit a besoin, fondamentalement, d'espace et de voyage. Il a donc décidé d'obéir à cette voix intérieure, "le garçon nommé Corbeau ", afin de s'accomplir, de se trouver et de comprendre qui il est.

"Dans l'immensité du monde tu ne vois nulle part d'espace pour toi-un espace minuscule te suffirait, pourtant. Tu cherches une voix, mais ne rencontres qu'un profond silence. À l'inverse, quand tu réclames le silence, c'est la voix de la prédiction qui se fait entendre sans fin. Et, de temps en temps, cette voix prophétique appuie sur un bouton secret dissimulé au fond de ton cerveau." p.16.

L'aventure de cet adolescent se présente à nous comme un conte initiatique. Kafka, sur sa route, rencontre des adultes sensibles, des êtres de valeurs qui lui apportent, tour à tour les réponses à ses énigmes. Mais, à l'inverse, lui aussi sera source de délivrances, notamment pour celle qui attendait sa venue : l'énigmatique Mlle Saeki.

"Je hoche la tête, me lève, m'apprête à sortir. Mais quelque chose me retient. Je m'arrête, me retourne et traverse la pièce pour m'approcher d'elle. Je pose ma mains sur ses cheveux. Mes doigts effleurent sa petite oreille qui pointe entre les mèches. Je ne peux pas m'en empêcher. Elle lève la tête, l'air surpris, puis, après une brève hésitation, pose sa main sur la mienne.
- Quoi qu'il en soit, toi et ton hypothèse avez atteint une cible bien plus lointaine que tu ne l'imagines. En as-tu conscience ?
Je hoche la tête.
-Je sais, mais les métaphores permettent de réduire la distance, dis-je.
-Ni toi ni moi ne sommes des métaphores.
-Je sais. Mais les métaphores permettent  de réduire la distance qui nous sépare, vous et moi." p.400

En parallèle, par chapitres alternés, évolue l'étonnant personnage de Nakata.
Ce simplet grand-père, qui parle aux chats et fait pleuvoir des sangsues, emprunte la même route que le jeune héros. Lui aussi, obéissant à des convictions qui le dépassent, est en marche pour accomplir une mission.
L'aventure du fabuleux papi regorge de phénomènes improbables, de situations comiques et de tendresses: il y a là des moments de lecture délicieux !
Surtout, au fur et à mesure du voyage de Nakata, vont s'éclaircir pour le lecteur, les étranges motivations inavouées de Kafka car des liens jusque-là distendus entre les causes et les effets vont peu à peu se retendre.

"-Monsieur Hoshino ?
-Ouais ? fit Hoshino qui consultait à nouveau son plan.
-C'est là.
-C'est là, quoi ?
-Ce que Nakata cherchait, c'est cet endroit."p.498

Lire Kafka sur le rivage, c'est accepter de se perdre dans le labyrinthe que dessine Murakami, s'ouvrir au vide poétique de l'inexplicable et plonger la tête la première dans des pages qui ne cherchent qu'à vous engloutir.

La quête d'identité de Kafka nous emmène sur les terres du rêve : on traverse une forêt, un tableau et le Temps, rien que ça !
Mais au sortir de ce conte-gigogne on se sent pris de légèreté, plein de la certitude de connaître l'Amour, et envahit de cette joie bouleversante qui vous fait dire : j'ai entendu de la poésie.

"Je sens les larmes tièdes couler le long de mes joues. Elles débordent de mes yeux, roulent jusqu'à ma bouche, s'y arrêtent, puis sèchent sans hâte. Cela m'est égal. je n'ai pas l'impression que ce sont mes larmes, il me semble qu'elles font partie de la pluie qui frappe les vitres.
Ai-je agi comme il le fallait .
" p.638
 
Le maître mot du livre : la métaphore.



 

Publié dans Lectures 2010

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